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IPC 2023 de l’Afrique subsaharienne : Impunité pour responsables corrompus, espace civique restreint et accès à la justice limité 

Opposition supporters gather in the Kamukunji region to protest President William Ruto and the Kenyan government

Photo: Gerald Anderson and Anadolu Agency/AFP

Paul Banoba, Robert Mwanyumba et Samuel Kaninda, conseillers régionaux pour l'Afrique, Transparency International

L’Indice de perception de la corruption (IPC) de cette année montre des résultats mitigés en Afrique, avec des améliorations significatives dans quelques pays. Cependant, la plupart des pays africains stagnent, et le score global de la région reste faible. En effet, la moyenne régionale n’a pas changé : 33 sur 100. Quatre-vingt-dix pour cent des pays d’Afrique subsaharienne ont obtenu un score inférieur à 50.

Malgré un sondage régional classant la corruption parmi les problèmes les plus importants auxquels les populations africaines veulent que leurs gouvernements s’attaquent, l’IPC 2023 montre que les pays d’Afrique subsaharienne ont encore un long chemin à parcourir dans leur lutte contre la corruption. 

Indice de perception de la corruption 2023

Voir les résultats

Les Seychelles (score IPC : 71) restent le meilleur élève de la région, suivies par le Cap-Vert (64) et le Botswana (59). La Guinée équatoriale (17), le Soudan du Sud (13) et la Somalie (11) obtiennent les résultats les plus faibles, sans aucun signe d’amélioration.

VUE D’ENSEMBLE DE LA RÉGION

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La corruption touche les plus vulnérables 

Malgré un taux de croissance économique de 3,3 pour cent en 2023, l’Afrique subsaharienne reste confrontée à une extrême pauvreté, qui touche environ 462 millions de personnes. Les difficultés persistantes que connaît la région découlent de problèmes graves de sous-financement des secteurs publics datant de plusieurs décennies et exacerbé par la corruption et les flux financiers illicites qui détournent les ressources des services publics essentiels. Les réponses apportées aux problèmes sociaux et économiques, souvent au détriment des populations les plus vulnérables, restent inefficaces. La corruption dans le cadre des mécanismes d’administration de la justice affecte de manière disproportionnée les citoyens les plus pauvres et ceux qui dépendent essentiellement des services publics, comme les personnes vivant avec handicap ou les femmes et les enfants, et fait ainsi obstacle à la réalisation des objectifs de développement mondiaux et régionaux.

Un faible équilibre entre les pouvoirs menace la démocratie 

Les cas de corruption dans les systèmes judiciaires de la région et les défis connexes vont de la corruption à l’extorsion et l’ingérence politique dans les systèmes judiciaires de pays tels que le Nigeria (25), au licenciement et à l’emprisonnement de magistrats accusés de corruption au Burundi (20), et même jusqu’au déni de justice pour les victimes de violations des droits humains en République démocratique du Congo (20). Ces exemples soulignent le rôle crucial que joue le système judiciaire dans la sauvegarde des droits humains fondamentaux et de l’équité sociale.  

La démocratie en Afrique est également mise à mal par l’augmentation du nombre de changements anticonstitutionnels dans plusieurs pays parmi les moins bien notés, notamment au Mali (28), en Guinée (26), au Niger (32) et au Gabon (28), l’insécurité et la corruption étant citées comme les principaux motifs sous-jacents de ces changements. Depuis 2020, le Sahel et l’Afrique centrale ont connu neuf coups d’État. 

Pays à observer : le Gabon 

A man walks past torn campaign posters of ousted Gabon President Ali Bongo Ondimba

Photo: AFP

Le score IPC du Gabon (28) est en baisse, malgré sa réputation de pays parmi les plus prospères et les plus stables d’Afrique centrale. La mainmise de la famille Bongo sur la scène politique du pays pendant plus de cinq décennies a laissé peu de place à la transparence et à la redevabilité. De récents sondages indiquent que neuf Gabonais sur dix désapprouvent les résultats obtenus par le gouvernement en matière de lutte contre la corruption et craignent des représailles s’ils dénoncent des faits de corruption.  

Un coup d’État militaire a eu lieu en août 2023, quelques heures seulement après qu’Ali Bongo a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle. Bien que le coup d’État fût inconstitutionnel, les dirigeants de l’opposition politique et la société civile y ont vu une occasion de mettre fin à plus d’un demi-siècle de règne de la famille Bongo et de contribuer à rétablir l’ordre après ce qu’ils considéraient comme des élections chaotiques. Le nouveau gouvernement dirigé par les militaires a donné la priorité à la lutte contre la corruption, mettant l’accent sur la réactivation d’un groupe de travail anticorruption chargé d’enquêter sur tous les projets pour lesquels des entrepreneurs ont reçu de l’argent sans achever les travaux prévus. 

LES PAYS AYANT LE MOINS PROGRESSÉ

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Un État de droit plus fort : un pas vers l’éradication de l’impunité 

Les résultats de l’IPC de cette année nous rappellent brutalement que l’indépendance du pouvoir judiciaire et le fonctionnement des mécanismes internes de redevabilité tels que les codes de conduite et les procédures de révocation des juges devraient être au premier plan de l’élaboration des politiques dans la région. 

En République démocratique du Congo (20), l’Inspection générale des finances (IGF) joue un rôle central dans les efforts accrus de lutte contre la corruption déployés par le président Félix Tshisekedi. Ces cinq dernières années, l’IGF a mis à découvert de nombreux cas de mauvaise gestion des fonds publics et de corruption dans plusieurs institutions, dont le bureau du président. Cependant, la justice a agi avec lenteur, en particulier pour les affaires impliquant des personnes politiquement exposées. Lors d’une interview donnée en juillet 2023, le président Tshisekedi a exprimé son mécontentement face au fonctionnement du système judiciaire au cours de son mandat. 

Au Sénégal (43), des leaders de l’opposition politique et des représentants de la société civile ont reproché le président Macky Sall et son administration d’avoir utilisé le système judiciaire afin de régler des comptes politiques. Dans une lettre commune, d’éminentes personnalités sénégalaises dont des professeurs d’université, des journalistes, des auteurs et d’anciens ministres ont demandé au président Sall de prendre des mesures urgentes pour rétablir la paix et garantir l’indépendance de la justice. À l’approche de l’élection présidentielle de 2024, les tensions s’exacerbent, comme en témoignent la violente répression de manifestations et les restrictions d’accès à internet.   

En Zambie (37), l’auditeur général, le comptable général, l’ancien secrétaire au Trésor et 15 autres fonctionnaires du ministère des Finances ont été arrêtés en mars 2023 et accusés de corruption après avoir reçu divers paiements pour des activités fictives. Ces arrestations font suite à une enquête menée par Transparency International Zambie sur le détournement de millions de dollars au ministère des Finances.   

Malgré l’adoption de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption (AUCPCC) il y a une vingtaine d’années, l’impunité des acteurs publics et l’affaiblissement de l’espace civique et le manque d’accès des populations à la justice et à l’information restent des questions critiques qui menacent l’État de droit dans la région. Des efforts de lutte contre la corruption sont donc nécessaires et pertinents à tous les niveaux, et ils doivent impliquer de nombreuses parties prenantes au sein du réseau judiciaire, des avocats des tribunaux et des systèmes familiaux aux procureurs et aux magistrats. 

LES PAYS AYANT LE PLUS PROGRESSÉ

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Un optimisme prudent dans le cadre des efforts de lutte contre la corruption 

La Côte d’Ivoire (40) a connu une amélioration constante au cours de la dernière décennie ; gagnant treize points depuis 2013. Après des années de conflits armés au début des années 2000 et une impasse politique à la suite des élections présidentielles de 2010, l’administration du président Alassane Ouattara a mis en œuvre plusieurs réformes réussies. Elle a ainsi adopté une loi sur la prévention et la répression de la corruption, créé une autorité nationale de lutte contre la corruption, obligé les élus et hauts fonctionnaires à déclarer leur patrimoine lors de leur entrée en fonction, créé un pôle pénal économique et financier au sein du système judiciaire, mis en place une plateforme permettant de signaler gratuitement les faits de corruption, et publié un décret sur la lutte contre le blanchiment d’argent. 

Bien que ces mesures juridiques et institutionnelles aillent dans la bonne direction, elles devraient être appliquées dans tous les secteurs concernés en Côte d’Ivoire. Des mesures supplémentaires, telles que la publication des déclarations de patrimoine, l’adoption d’une loi sur la protection des lanceurs d’alerte assortie de solides mécanismes d’application et la mise en place d’un registre des propriétaires réels accessible au public, viendraient compléter ces efforts.    

Les Seychelles (71) et l’Angola (33) continuent d’enregistrer des progrès notables en matière de lutte contre la corruption. Au cours de la dernière décennie, le score IPC des Seychelles a augmenté de 19 points, tandis que celui de l’Angola s’est amélioré de 14 points depuis 2019. Ces deux pays partagent des mesures communes de lutte contre la corruption, telles que l’effort constant pour récupérer les avoirs volés et pour demander de manière ouverte des comptes aux auteurs supposés par le biais de leur système judiciaire national. L’Angola a finalisé une stratégie de lutte contre la corruption pour la période 2018 à 2022. Ces efforts, associés à d’autres réformes judiciaires, ont permis au fonds souverain de récupérer 3,3 milliards de dollars américains d’actifs. Les enquêtes et les poursuites engagées à l’encontre de hauts fonctionnaires ont également permis de récupérer un total d’environ 7 milliards de dollars américains d’avoirs financiers et tangibles. 

Le Cap-Vert (64) a récemment adopté une loi visant à créer une plateforme en ligne pour les opérateurs judiciaires afin de réduire les délais et les procédures en cours. 

Le Liberia (25) a perdu seize points depuis 2012. Le score IPC du pays contraste avec les réformes positives introduites par l’administration de l’ancien président George Weah dans la dernière partie de son mandat, en 2022 à 2023. Parmi ces efforts, on peut notamment mentionner une modification de la loi créant la Commission de lutte contre la corruption du Libéria (LACC) qui donne à la Commission le pouvoir direct et immédiat de poursuivre les fonctionnaires et de saisir leurs biens, l’adoption d’une loi sur la protection des lanceurs d’alerte et la modification du Code de conduite national. Cependant, l’impact de ces réformes n’est pas encore pleinement réalisé, car l’impunité pour la corruption reste marquée. En témoignent les cas de plusieurs fonctionnaires sanctionnés par le gouvernement des États-Unis pour corruption importante dans le secteur public qui n’ont fait l’objet ni d’enquête ni de poursuites après leur suspension.

Pays à observer : Afrique du Sud 

A group of protesters holding banners stage a protest and chant anti-government slogans in South Africa

Photo: Ihsaan Haffejee and Anadolu Agency/AFP

En 2024, l’Afrique du Sud (41) fêtera les 30 ans de la fin de l’apartheid et de l’avènement d’une nouvelle ère démocratique. Malgré cette étape importante et l’espoir que la corruption disparaisse avec la mise en place d’un système gouvernemental juste, le score IPC de l’Afrique du Sud s’est dégradé ces cinq dernières années.    

À l’approche des élections générales de 2024, l’exécutif continue de mener des efforts permanents de lutte contre la corruption visant à attirer des parties prenantes de l’ensemble de la société, notamment par la mise en place du Conseil consultatif national de lutte contre la corruption. C’est l’occasion de lancer des campagnes de lutte contre la corruption axées sur les partis politiques et leurs projets de société, et de mobiliser la population et la société civile pour qu’elles demandent des comptes aux dirigeants du pays.     

Il est capital de tirer parti de ce moment pour s’appuyer sur les recommandations de la Commission Zondo afin de faire en sorte que les systèmes et la législation soient renforcés et les possibilités de corruption réduites. 

Les pays les mieux notés sont-ils exempts de corruption ?

IPC 2023 : Des problèmes au sommet

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