Lobbying au Sénat : qui peut croire que les sénateurs français rencontrent seulement 100 personnes par an ?
Lobbying in the Parliament: Who can belive that French parliamentarians meet only 100 persons a year?
En janvier 2011, soit un an après l’entrée en vigueur de premières règles d’encadrement du lobbying au Sénat, une centaine de personnes seulement étaient enregistrées comme lobbyistes ! Comme le montre le bilan dressé par TI France, le dispositif doit être considérablement renforcé pour rendre plus transparentes les modalités des prises de décision des parlementaires.
Entrées en vigueur au 1er janvier 2010, les « règles visant à encadrer l'activité des groupes d'intérêt » mises en place au Sénat prévoient d’accorder aux représentants d’intérêts un droit d'accès, sous réserve de leur inscription sur un registre public, du respect d’un code de conduite et du port d'un badge dans l'enceinte du Sénat[1]. Les lobbyistes sont par ailleurs tenus de déclarer les invitations à des déplacements à l’étranger qu'ils adressent aux Sénateurs, à leurs collaborateurs ainsi qu'aux fonctionnaires et instances du Sénat.
Suite à l’adoption de ces règles en octobre 2009, TI France avait salué des avancées encourageantes – le dispositif allait légèrement plus loin que celui adopté trois mois avant par l’Assemblée nationale. Selon l’association, il était néanmoins nécessaire d’aller beaucoup plus loin afin d’instaurer des règles d’une autre nature, applicables aux représentants d’intérêts, mais aussi aux parlementaires, à leurs collaborateurs et aux personnels des assemblées.
L’association avait également regretté l’opacité ayant entouré l’élaboration du dispositif. Les nouvelles règles ont été décidées par simple instruction générale du Bureau, procédure ne nécessitant pas de débat en séance plénière. Par ailleurs, la liste des personnes auditionnées et le détail du processus suivi n’ont jamais été publiés. Enfin, le Sénat et l’Assemblée n’ont pas choisi de se coordonner pour bâtir un dispositif commun et accorder le format de leurs deux registres.
Un bilan décevant (cf. bilan intégral en annexe)
Lors de l’adoption de ses premières règles d’encadrement, le Sénat avait annoncé qu’il en ferait le bilan un an après[2]. Si une légère amélioration a été apportée au registre avec l’intégration en janvier 2011 d’une typologie, aucune évaluation n’a encore été rendue publique. Comme l’association l’avait rappelé, il est nécessaire que le bilan soit conduit avec le concours de tiers indépendants et TI se propose d’y contribuer.
Un an après sa mise en place, le dispositif montre déjà ses limites. Au 10 janvier 2011, seulement 102 représentants d’intérêts étaient inscrits[3]. Ils ne sont plus que 40 au 31 janvier 2011 : les représentants inscrits en 2010 doivent en effet renouveler leur accréditation annuelle pour l’année 2011. Le nombre de 102 inscrits au 10 janvier 2011 reste très faible pour un registre qui se voulait obligatoire. Or, si l’inscription sur le registre est requise pour avoir accès à certains locaux du Palais du Luxembourg, il est toujours possible de rencontrer des Sénateurs, sur rendez-vous et sans accréditation.
Enfin, le Sénat avait choisi d’aller plus loin en demandant le signalement des invitations à des voyages à l’étranger. On peut s’étonner du fait qu’une seule invitation ait été rendue publique, à la date du 8 juillet 2010. Signalons également que les invitations à des déplacements en France ne sont pas visées. Elles mériteraient pourtant de l’être dans la mesure où elles-aussi participent aux activités de lobbying.
Un dispositif limité à un registre ne permet donc pas d’avoir une idée précise des intérêts réellement présents au Parlement, des moyens financiers et humains mis en œuvre et des positions défendues par les acteurs. Dès lors, le nouveau dispositif ne permet pas d’atteindre le principal objectif qui lui était assigné : créer les conditions de la confiance en éclairant les citoyens sur les acteurs auditionnés et les éléments pris en compte par les parlementaires pour étayer leurs délibérations et leurs votes.
Pour une réforme globale et une réelle concertation avec la société civile
TI France renouvelle dès lors son appel en faveur d’une réforme globale, coordonnée entre l’Assemblée nationale et le Sénat et précédée d’une discussion publique associant des acteurs du monde politique, de la vie économique, sociale et environnementale, des experts et des acteurs de la société civile intéressés à la question. Cette réforme devrait viser la mise en place de règles de transparence et de redevabilité qui seraient applicables autant aux parlementaires, à leurs collaborateurs et aux personnels de l’Assemblée nationale et du Sénat qu’aux seuls représentants des groupes d’intérêts.
TI France propose notamment[4] :
- Un accès équitable des intérêts économiques, sociaux et sociétaux, environnementaux et culturels, à ceux qui ont la responsabilité de produire la loi,
- Un dispositif, commun aux deux assemblées, d’accréditation obligatoire des représentants d'intérêts, assorti d’un code de bonne conduite. Ce dispositif devrait pouvoir être actionné par tout parlementaire, citoyen ou acteur souhaitant être informé ou signaler des pratiques contraires au code de conduite ou au règlement des assemblées,
- L’amélioration de l’empreinte législative, collective et individuelle, permettant aux citoyens de connaître les conditions d’élaboration des lois,
- La publication obligatoire, tant par les représentants d’intérêts que par les assemblées sur leur site Internet, des positions communiquées aux parlementaires lors de la préparation des textes,
- La publication de la liste, tenue à jour par le Bureau, des activités professionnelles exercées par les élus, ainsi que toute autre fonction ou activité rémunérée ou non afin de mettre au jour les risques de conflits d’intérêts,
- L'élaboration d'un premier rapport indépendant sur le lobbying auprès du Parlement permettant une appréhension plus objective des enjeux, des pratiques et des intérêts en jeu.
TI France adresse aujourd'hui ce bilan au Bureau du Sénat et à la Direction de l’Accueil et de la Sécurité.
[1] Cf. Arrêté de Questure n° 2010-1258 définissant les droits d'accès au Palais du Luxembourg des représentants des groupes d'intérêt : http://www.senat.fr/role/groupes_interets_aq.html
[2] Cette mission était confiée à la Direction de l’Accueil et de la Sécurité.
[3] A la même date, ils étaient 118 sur le registre de l’Assemblée nationale alors que l’inscription y est facultative.
[4] Premières recommandations de TI France : http://www.transparence-france.org/e_upload/pdf/recommandations_lobby_ti_france__04_02_09.pdf
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